Un mariage presque parfait – Nouvelle

Un mariage presque parfait - Nouvelle

Voici une nouvelle que j’ai écrite spécialement pour un concours de nouvelles courtes en 2022.

Ce jour devrait être le plus beau de ma vie, mais je fais juste semblant d’être heureuse. Je pourrais décrocher un Oscar de la meilleure actrice. J’ai répété mon rôle, je me suis préparée mentalement, et même si je dois fournir des efforts surhumains, tout le monde semble n’y voir que du feu. J’ajuste le timbre de ma voix pour ne faire aucune fausse note et je souris sans crisper ma bouche. Seule Elsa, ma meilleure amie qui me connaît par coeur, m’a déjà demandé deux fois si j’étais sûre que ça allait. 

Je devrais être au sommet de la félicité. Le ciel offre un horizon d’un bleu parfait sans nuages, comme ma romance avec Ivan. J’avais arrêté de croire au prince charmant, jusqu’à ce que je le rencontre. Nous formons le couple modèle, celui dont vous rêvez tous, celui qui vous agace parce qu’au bout de sept ans de vie commune, nous dégoulinons encore d’amour. Il m’a demandée en mariage lors d’un dîner aux chandelles sur une plage de l’île Maurice, où nous fêtions le nouvel an. C’était mon rêve, de célébrer la nouvelle année sur une île paradisiaque. C’était aussi mon rêve, d’être demandée en mariage sur une île paradisiaque. Ivan réalise tous mes rêves. 

Le conte de fées est consacré aujourd’hui. Nous sortons de la mairie sous les lancers de confettis, les regards contemplatifs, les acclamations de joie et les flashs des “paparazzi”. J’essaie de ne pas trembler quand mon tout nouveau mari m’embrasse, et de ne pas broyer sa main quand il prend la mienne. Il se penche à mon oreille pour me murmurer qu’il m’aime. Je retiens un mouvement de recul et je lui souris avec les lèvres serrées. Je dois me ressaisir, car je crois qu’il commence à me trouver louche. Nous descendons les marches, recouvertes d’un long tapis rouge, comme des stars de cinéma. Je devrais n’avoir que des images d’amour, de gloire et de beauté dans la tête. Pourtant, je m’imagine dans le rôle d’une meurtrière dans un thriller dramatique, et ce tapis rouge me fait penser au sang que j’y verse. 

Nous sommes le centre du monde. Tous veulent nous parler, nous toucher, nous prendre en photo, nous cajoler, pleurer de joie dans nos bras. Moi aussi, je voudrais pleurer dans leurs bras, mais pas de joie. Malgré toute cette attention, les heures passent trop lentement à mon goût. Au vin d’honneur, je voudrais boire jusqu’au coma éthylique pour oublier ce qui gâche mon bonheur, mais je dois jouer le rôle jusqu’au bout. Je me contente donc de tremper précieusement mes lèvres dans mon kir royal. 

Une cousine d’Ivan me bouscule et je renverse un peu de mon breuvage sur ma robe blanche. Je contiens ma colère, la maladroite s’excuse mille fois, et propose de réparer sa bêtise. Nous nous dirigeons ensemble vers les toilettes de la salle de réception. Nous croisons des curieux qui nous demandent d’où vient cette tache un peu rouge sur ma robe. Je leur réponds en riant que j’ai assassiné quelqu’un et que je n’ai pas complètement réussi à faire disparaître toutes les preuves. Finalement, il se pourrait que j’aie légèrement abusé de ce kir. Je fais des blagues de mauvais goût lorsque je suis éméchée et malheureuse. 

La tache sur ma robe ne se voit plus, mais il me reste une énorme tâche intérieure. Mon coeur saigne à n’en plus finir et dans cinq minutes, je vais stopper l’hémorragie pour le soulager. Nous sommes sur scène avec Ivan. Je le laisse débiter un discours amoureux devant tout le monde, mais je ne l’écoute pas vraiment. Je feins d’être aux anges. 

Quand vient mon tour, je m’empare du micro avec solennité. C’est le moment que j’ai attendu toute la journée. Je ne fais pas de discours, je demande simplement aux 117 invités d’attraper l’enveloppe individuelle scotchée sous leur table et de l’ouvrir. Ils découvrent son contenu dans un amas de stupeur et de tremblements. Des cris d’horreur et d’indignation résonnent. Je vois ma mère tomber dans les pommes, on se précipite à sa rescousse. Je suis profondément désolée de causer de la peine à tous ces gens que j’aime, mais ils ne souffriront pas autant que moi. 

Tout ceci ne serait pas arrivé si mon mari Ivan et ma meilleure amie Elsa, les deux personnes en qui j’avais le plus confiance, n’avaient pas brutalement gâché ma vie en mêlant leurs salives, leurs corps, leurs mots écoeurants de désir, depuis quelques mois. Dans les enveloppes, j’ai glissé des photos des coupables en train de s’embrasser dans un hall d’hôtel et le contenu de leurs conversations SMS. Je suis Scorpion, et c’est bien connu, la vengeance des Scorpions est terrible. 

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